L'homme qui dirige le plus grand cabinet d'architecture privé de France s'alarme du concours ouvert par l'État qui ne peut que nourrir la polémique.
Par Bruno Monier-VinardDenis Valode invoque la charte de Venise élaborée par l’Unesco dans les années 1970 et qui impose de restaurer les monuments à leur dernier état historique connu.
© DRLe patron du plus grand cabinet d'architecte privé en France, c'est lui. Denis Valode dirige (avec Jean Pistre) l'agence Valode & Pistre, récente lauréate du concours international de réaménagement de la gare du Nord qui aura fait peau neuve en 2024 et doublé de taille afin d'accueillir les Jeux olympiques à Paris. Après avoir notamment relooké le Centre commercial Beaugrenelle dans le 15e arrondissement de la capitale et fait fleurir à Lille le grand stade Pierre-Mauroy, ce « starchitecte » œuvre aujourd'hui à agrandir sur l'eau la Principauté de Monaco. En exclusivité, il livre au Point, son regard, ses envies et ses réserves, au sujet du concours d'architecture visant à reconstruire la cathédrale de Paris.
Le Point : La reconstruction de Notre-Dame de Paris provoque une intense polémique. Qu'en pensez-vous ?
L'architecte Denis Valode, patron, avec son associé, du cabinet Valode & Pistre.Match Le CordeL Vs TendancesSemelles Blanches Des kXZOwiuTPl
« La solution la plus simple, la plus évidente, est de répliquer la flèche. (...) Ce n'est pas une idée réactionnaire, c'est la modernité »
Que préconisez-vous pour réparer au mieux les dégâts ?
Impossible de reprendre tant bien que mal la flèche magistrale qui, après avoir flambé, est désormais entièrement détruite. Lorsque Viollet-le-Duc l'a construite, il a dû l'inventer, faute d'avoir dans ses mains les plans d'origine. Ce n'est pas notre cas aujourd'hui. Nous possédons les plans de Viollet-le-Duc. La solution la plus simple, la plus évidente, est donc de répliquer cette flèche. Ce n'est pas un pastiche, c'est une reconstitution scientifique. Ce n'est pas une idée réactionnaire, c'est la modernité.
En ce qui concerne la toiture, si l'on peut trouver un alliage qui a le même rendu que le plomb et est plus facile à mettre en œuvre (titane, etc.) pourquoi pas ? J'opterais pour ma part pour le choix d'une charpente en bois, une solution plus écologique que le métal ou le béton, qui offre en outre l'avantage de stocker le CO2. Nous disposons de tout le bois qu'il faut en France, mais cela prendra plusieurs années pour le faire sécher. Si nous manquons de temps pour obtenir les sections de bois traditionnelles dans les délais voulus, prenons-en de plus petites en lamellé-collé, qu'on pourra assembler plus rapidement.
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Etait-ce une bonne idée de lancer un concours international d'architecture avant de passer à l'action ?
Le problème de ce concours est qu'il va générer un assaut d'originalité dont les choix vont paraître contestables, très rapidement. L'État commet sans doute une erreur en renonçant à un bâtiment qui faisait l'unanimité, en lançant quelque chose qui amènera nécessairement une polémique. Les architectes qui se précipitent me font penser à des « naufrageurs ». Nous n'avons pas à jeter d'anathème sur telle ou telle époque. Notre-Dame a brûlé, nous n'avons pas su préserver ce patrimoine de neuf siècles, unique au monde. Pour perpétuer la sublime aventure de ces bâtisseurs de pierres, il faut restaurer cet ensemble afin de le transmettre aux générations futures. La charte de Venise, élaborée par l'Unesco dans les années 1970, impose de restaurer les monuments à leur dernier état historique connu. Avec les moyens dont nous disposons, nous pouvons restaurer cet édifice religieux grandiose. Il faut avoir l'audace, l'humilité, de réparer le bâtiment tel qu'il était avant le drame.
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